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José Leonilson (1975-1993): un récit de soi depuis la maladie (Brésil 1990- 1993).

Pendant une longue convalescence, je réfléchis à la possibilité de mettre en place un corpus, autre que celui de la littérature scientifique, pour aborder dans un geste émancipateur l’histoire des corps malades, avec les outils qui sont les miens : ceux de l’art. Au-delà de cette situation personnelle, il s’agit de travailler au démantèlement d’une certaine vision romantique de l’artiste outsider (de la marge), préférant remettre au centre la responsabi- lité sociologique d’un milieu social quand une pratique se retrouve à être travaillée depuis la marge. Un.e artiste malade n’est pas autre, ille développe un nouveau vocabulaire à travers les modifications qu’entraînent les outils et conséquences de la pathologie qui le, la concerne.

En 1977, est publié pour la première fois La maladie comme métaphore de Susan Sontag texte qui engage sur la piste de la démystification sémiotique et morale de la maladie et tout particulièrement du cancer dont elle est elle-même atteinte. Dans la préface Sontag écrit la façon la plus honnête que l’on puisse avoir à son égard (la maladie) – la façon la plus saine aussi d’être malade consiste à l’épurer de la métaphore, à résister à la contamina- tion qui l’accompagne. Les métaphores sociales et politiques données à la maladie tendent toujours dans un sens négatif ; celui de la destruction, de la soumission. Cette question du vocabulaire montre bien que la maladie n’est pas une forme sociale acceptable et situe l’artiste qui en est atteinte dans une certaine marge. Au chapitre deux, Sontag écrit, « le cancer est un thème rarement présent en poésie ; il scandalise encore, et l’on imagine mal que l’on peut conférer quelque caractère esthétique à cette maladie».

José Léonilson, artiste Brésilien né en 1957, grandit à São Paulo sous un régime dictatorial, il meurt en 1993, à l’âge de trente-six ans, suite à des complications dues au sida. Le corpus de son œuvre comprend des collages, des assemblages de tissus, des peintures et des dessins qui usent d’une poétique narrative pour commenter et cri- tiquer le contexte d’abord politique, puis social et médical qui traverse sa vie.
L’essentiel de ses œuvres est centré sur des sentiments émotionnels bruts, des réflexions introspectives à travers ses histoires intimes.

La réappropriation de l’histoire des corps par narra- tion et la fiction prend très tôt une place importante dans le travail de Léonilson.
En 1976, il développe Ideal Vogue, artéfact queer d’une trentaine de pages où il regroupe dessins, collages, aquarelles et textes (interview, chroniques, compte rendu de collections). Léonilson déplace, avec sa culture d’américain du Sud, les canons esthétiques de la mode de cette fin des années 70 . Contribuent à ce fanzine, qui est à la fois une œuvre unique, ses amis et sa famille. Ideal Vogue dessine les contours d’une œuvre qui montre l’impor- tance d’une histoire de l’art toujours en mouvement, contestant, commentant, non pas uniquement par le prisme de la critique, mais par celui de l’acteur artiste en train de projeter la construction de son œuvre en même temps qu’il l’écrit. Tout au long de sa carrière Léonilson fait allusion à sa vie privée autant par des mots qui apparaissant dans ses broderies que par les techniques mises en place pour la production de ses pièces, comme des boutons, des pierres semi-précieuses. qui introduisent une procédure fondamentale dans son travail : la couture. Le rapport à la narration depuis le corps s’exprime essentiellement à travers la réappropriation du vêtement et ses techniques. Dans un entretien Léonilson dont le point s’assimile à un dessin tremblant, explique :

«C’est mal fait, c’est vrai- ment mal fait et puis je me dis, je ne dois pas essayer de faire de la haute couture. Ce n’est pas du Balenciaga. C’est mon travail. Avant, je pensais que la couture de- vait être parfaite. J’ai compris que c’était un travail dif- férent quand un styliste confectionne des vêtements et quand c’est un artiste qui coud. Ce sont deux attitudes voisines, mais assez différentes

La présence du corps s’accentue au cours des années 80 avec l’apparition de peintures qui ne se concentrent plus sur les ornements du corps , mais sur les organes eux-mêmes. C’est le moment du caractère esthétique de la chair jusqu’au glissement de la fin des années 80 où le registre de la narration de son corps et de sa médicalisation va venir aux premiers plans avec l’apparition d’œuvres qui évoquent frontalement le caractère esthétique de la maladie.

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