NEW WAVE photographs by Pierre René-Worms agnès b. Tokyo
texte produit à l’occasion de l’exposition New Wave l Agnes b. Tokyo l 19.01.2019 – 03.03.2019 de Pierre René-Worms
A la terrasse d’un restaurant thaïlandais, situé à l’angle de la rue Etienne-Marcel, fin août 2012, je demande à Pierre de me raconter comment c’est arrivé. Comment, de rencontre en rencontre, il s’est retrouvé être la personne qui fera, entre autres, la pochette du mythique « Juke Box Baby », d’Alan Vega.
Le lendemain, je reçois dans ma boîte mail ces quelques mots :
« C’était à New York en septembre 81. Il y a trente et un ans. Ma mémoire ne me trompait pas hier soir lors de ce beau repas. Reportage d’une semaine à Manhattan. Klaus Nomi venait de sortir son album avec son super look. Il allait venir à Paris quelques mois plus tard pour un concert au Grand Rex. Rendez-vous pris de Paris, via l’attaché de presse de RCA, pour une photo session en bas de chez lui dans l’East Village. Je vois arriver un type banal, loin des délires vestimentaires de la diva New Wave. Le seul lien avec la star est ce tee-shirt noir à son effigie. Quelques snapshots express d’un Nomi fatigué et déjà bien malade. Une des rares occasions où il se présente à nu face à l’objectif. Banal, me dis-je. Finalement, pas mal avec le temps. Je plie bagage au bout d’une vingtaine de minutes d’échanges. Direction, le quartier des clodos, le Bowery. Rendez-vous avec Alan Vega dans sa petite chambre. Cette fois-ci, le shooting sera impec, future pochette de « Juke Box Baby » en boîte pour l’occasion. »
Pierre est comme ça, discret, précis, il parle peu mais toujours d’un air légèrement « faites comme si je n’étais pas là » ! Celles qui parlent le mieux pour lui, ce sont ses images.
Pierre René-Worms est mon père et je tente depuis quelques années, en regardant ses photos, de comprendre une histoire musicale mais aussi sociale, ce glissement de la fin des années 70 aux années 80.
Les photos shootées à New York font partie d’un ensemble plus vaste d’images prises entre 1977 et 1983.
Elles racontent une période où le punk est déjà derrière, l’épidémie de sida ravage, et il va falloir apprendre à dealer avec une nouvelle organisation de la vie. En attendant, il se promène dans les capitales rock, de Paris à Londres en passant par New York ou Rennes avec son appareil photo, un Asahi-Pentax acheté avec l’argent de ses premiers jobs. C’est avec l’œil d’un photojournaliste qu’il capte ce nouveau mouvement, des recoins les plus fous de n’importe quelle ville aux salles enfumées, dont les speakers hurlent des sons de synthétiseurs et de boîtes à rythmes. C’est jazz, funk, électronique, complètement grisant et euphorique, c’est l’heure de la New Wave. Elle peut émerger n’importe où, comme par exemple dans ces premières images prises en août 1977 à Mont-de- Marsan, une ville médiévale à la lisière de la forêt des Landes, où se tenait la seconde édition de son festival punk. Pierre y photographie Police, The Clash. Tout semble simple et accessible, hors contraintes…
Pierre se glisse dans la vie quotidienne des musicien(ne)s, de la loge de concierge du théâtre Mogador avec les B52, à un ring londonien avec Ron Mael, le chanteur des Sparks en passant par la cuisine londonienne de U2. Dans ses images de Joy Divison de 1979, on voit en background un Paris en pleine mutation avec le nouveau quartier des Halles, qui vient tout juste d’être inauguré.
Sa New Wave est celle de la découverte de groupes qui émergent, et elle se conjugue souvent au féminin car au fil des scènes et des bars, il montre la place importante qu’ont occupé les femmes dans cette période post-punk. Au fil des images, on redécouvre des musiciennes comme les Raincoats, The Slits, Nina Hagen, Chrissie Hynde, Grace Jones, Marianne Faithfull, et on croise Debbie Harry, l’enchanteresse, la même qui dans le film new-yorkais « Downtown 81 », d’Edo Bertoglio, peut réaliser tous vos rêves.
La New Wave a-t-elle été un long rêve en noir et blanc dont tous ne se sont pas réveillés et dont les souvenirs subsistent sur papier glacé ? En tout cas, c’est sans nostalgie que Pierre René-Worms évoque ses photos, car comme il le dit : « On a fait ces images tout juste hier ou avant-hier et on est toujours des post-ados qui entrons dans la vie active. On réagit encore avec cette insouciance relative, on demeure toujours adolescents dans notre tête. »