Curating

INTERVALLO (I) Oniromanzia: Laurie Charles, 2021

Quand nous avons commencé à penser à l’exposition Intervallo (I) Oniromanzia avec Laurie Charles, un des premiers points qui est venu dans nos conversations était le rapport que nous pouvons avoir à la narration de la maladie et ses mots. Comment s’approprier, rendre visible nos corps anarchiques, leur créer un nouveau langage plus personnel, loin de la barbarie de la langue scientifique.

Laurie Charles produit des peintures, des films, pourtant c’est le rapport à la narration, à la recherche que l’on retient en voyant ses peintures pop. Ses pièces présentées à Terzo Fronte, entre peinture et sculptures domestiques, sont le support d’œuvres narratives autour de l’histoire du corps et de la maladie, envisagées dans une perspective feministe. On y croise des citations historiques comme les deux mains qui se croisent, symboles des féministes italiennes, des références populaires et bien sûr son histoire personnelle, comme la spoon theory, système vernaculaire mis en place dans les forums de conversation par les personnes atteintes de maladies chroniques pour mesurer leur fatigue.

A Terzo Fronte, les œuvres de Laurie Charles jouent avec l’identité de notre espace, à la fois lieu de vie et d’exposition. L’espace se module, se travestit en fonction des heures, des visiteurs qui le traversent. Avec ses sculptures domestiques Laurie Charles tapisse Terzo Fronte d’un nouveau corps, un corps charnel et même parfois viscéral, le sien. Ce corps qui vient napper Terzo Fronte est de ceux dont l’on ne souhaite pas toujours parler: le corps que l’on dit en mauvaise santé.

Mais existe-t-il un corps en parfaite santé ? La bonne santé n’est elle pas une projection idéalisée d’une norme impossible du corps, produite par un langage autoritaire, celui de la médecine ? La maladie n’est elle pas une forme de la vie du corps, l’une de ses singularités avec laquelle nous devons apprendre à vivre, en inventant des modes d’existence qui lui donnent sa place ?

Dans Migraine Laurie Charles nous projette dans une double représentation à taille réelle de son corps, la première expose l’idée médiévale du corps comme une carte exposant un territoire géographique et les techniques de guérison qui peuvent lui être appliquées. Dans la seconde, le corps est vidé de ses organes, matières témoins des traumatismes vécus. On pense alors au corps sans organes d’Artaud qui écrivait dans Pour en finir avec le jugement de dieu:

L’homme est malade parce qu’il est mal construit.
Il faut se décider à le mettre à nu pour lui gratter
cet animalcule qui le démange mortellement,
dieu,
et avec dieu,
ses organes.

Car liez-moi si vous le voulez,
mais il n’y a rien de plus inutile qu’un organe.
Lorsque vous lui aurez fait un corps sans organes,
alors vous l’aurez délivré de tous ses automatismes
et rendu à sa véritable liberté.

Alors vous lui réapprendrez à danser à l’envers
comme dans le délire des bals musette
et cet envers sera son véritable endroit.

Mais comment danser à l’envers dans des corps trop occupés par l’obscur et l’informe des organes qui les occupent ? L’auto-conscience, le partage des savoirs vernaculaires et la subjectivisation de l’expérience peuvent être des réponses. L’exposition Intervallo (I) Oniromanzia articule les œuvres de Laurie Charles avec des textes qui supportent la pratique de l’artiste et sa réflexion sur l’histoire des corps malades. Ces textes associés aux pièces textiles de Laurie Charles, forment un ensemble de fictions rêvées, de propositions d’existence, qui libèrent le corps des discours normatifs, pour redonner toute leur grandeur à nos singularités.

Laurie Charles (B.1987) vit et travaille à Bruxelles. Storytelleuse visuelle et textuelle, elle écrit et peint sur des grandes toiles des narrations spéculatives. Elle réalise des vidéos où, elle mêle folklores, sciences humaines, histoires et récits de l’histoire avec une perspective féministe.

Chaque projet est l’occasion d’une recherche approfondie dans laquelle elle rassemble des éléments épars dans un récit fictionnel. En raison des changements survenus dans son propre corps (maladie auto-immune) elle a depuis quelques années développé un travail d’auto-fiction.Elle a ainsi entrepris de réécrire une histoire alternative de la médecine à celle qui a été gravée où il est question de soin, de cycles, de désastre écologique, de guérison. Dans ses oeuvres textiles peintes, elle représente la partie invisible du vivant (cellules intérieures du corps, artères, veines et matériaux microbiens) et explore ces représentations de l’intérieur du corps de manière caricaturale, exagérée, pop et immédiatement reconnaissable.

Laurie Charles (B.1987) vit et travaille à Bruxelles. Storytelleuse visuelle et textuelle, elle écrit et peint sur des grandes toiles des narrations spéculatives. Ces sculptures domestiques s’inscrivent dans sa pratique artistique comme des accessoires prêts pour un film à tourner ou une performance, et ils fournissent la toile de fond pour des scénarios potentiels illimités. Son travail a récemment été montré au Wiels – Bruxelles, Efremidis Gallery à Berlin, Grazer Kunstverein –Graz, CIAP Kunstverein – Hasselt, 1646 – project space for contemporary art – La Haie, Nanjing International Art Festival – Nanjing, Beursschouwburg – Bruxelles, Komplot – Bruxelles, et Le Commissariat – Paris

Terzo Fronte est un programme curatorial fondé par Georgia René-Worms, artiste et curatrice et Colin Ledoux, auteur et réalisateur français. Il emprunte son fonctionnement à la littérature et se construit comme un projet éditorial dont la programmation s’écrit collectivement par chapitre. Chacun des chapitres explore un aspect politique des formes de vie de notre société. Terzo Fronte s’envisage comme un laboratoire actif d’échanges, de connexion et de circulation entre les scènes artistiques franco-italienne et internationale, explorant les écosystèmes de narration et le fonctionnement de l’art contemporain.

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