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Iridescence

Texte produits pour l’exposition Iridescence
à Alkinois, Athens (GR) du 02.12.2022 au 28.01.2023

Quelle que soit la saison, il y a cette chose qui à la fin du jour se dépose sur la ville. Que vous soyez sur votre balcon ou sur cette petite bretelle d’autoroute qui relie Athènes au Pirée, il irradie depuis le paysage cette peau transparente comme celle du lait qui a bouilli trop longtemps et luminescente comme des écailles de poisson.
Elle est blanche et multicolore, argent et or à la fois. C’est peut-être le reste de la chaleur des rayons de soleils qui émanent des panneaux photovoltaïques, les montants des stores en aluminium, les bouts de verres brisés, les poissons encore humides et prêts à être grillés, les néons en croix des églises orthodoxes, le marbre poli, le pelage luisant des chats et des chiens des rues. Peut-être que c’est chacun de ces éléments mis bout à bout, au hasard des gestes du quotidiens, qui génèrent cette chose qui se pose sur la ville. Cette chose, le mot que j’ai identifié pour la représenter c’est l’iridescence. L’iridescence n’est pas centré sur l’humain, elle deal avec son environnement, se construit et se façonne dans l’hybridation. Comme un camouflage, elle prend des formes fluides en s’incarnant à travers toute nature d’éléments. L’iridescence par la manière dont elle se forme et se glisse relèverait donc de quelque chose de semblable à la ruse. Dans Les ruses de l’intelligence, La mètis des Grecs, les anthropologues Marcel Detienne et Jean-Pierre Vernant, définissent ainsi ce rapport de glissement entre les éléments menant à l’iridescence: « Cet éclat polychrome ou complexe d’apparences produit un effet d’irisation, de miroitement, un jeu de reflets que les Grecs percevaient comme les vibrations incessantes de la lumière. En ce sens, ce qui est poikilos , multicolore, est proche de ce qui est aioios , qui fait référence au mouvement rapide. C’est ainsi que la surface changeante du foie qui est tantôt propice et tantôt l’inverse s’appelle poikilos tout comme le sont la bonne fortune qui est si inconstante et changeante et aussi la divinité qui guide sans cesse les destinées des hommes d’un côté à l’autre, d’abord dans un sens puis dans l’autre. Platon associe ce qui est poikilos à ce qui n’est jamais pareil à lui-même ». ⁂


Ce qui n’est jamais pareil à lui-même, c’est un peu ce à quoi nous exposent Bregje Sliepenbeek, Lydia Delikoura , Charlotte Nieuwenhuys, Solanne Bernard et Marie d’Elbée. Par une intelligence prompte et souple, elles mettent à nu différents systèmes de circulation à travers les éléments et leur transformation, travestissant formes et couleurs. Des changements d’états à l’image de l’iridescence. Les toiles de Charlotte Nieuwenhuys, semblent jouer avec la couleur de l’air, qui pourtant pourrait nous apparaître comme invisible. Mais alors comment représenter le passage de l’invisible au visible ? peut-être en passant de l’infiniment petit à l’infiniment grand. C’est ce que Charlotte Nieuwenhuy fait en nous projetant dans des toiles, comme des prélèvements de nature où le grain de sable devient dessert, le flocon devient parterre de neige. Pris dans ce tourbillon, nous pouvons imaginer comment chacun de ces éléments s’est formé: une bouteille de verre ou la roche dont l’éclat serait lui-même devenu sable. La lumière brillante qui émane de ces éléments peut nous pousser jusqu’à imaginer des hybridations générées par la force de déplacement de l’air où le sable porté jusqu’à la neige créerait un parterre rose glacé. Le liquide est l’élément par excellence de l’iridescence. Bregje Sliepenbeek, avec sa sculpture, mène l’architecture à un état fluide. Partant des formes d’ornementation architecturales en fer forgé qu’elle appelle bijouterie robuste. Elle transforme ces éléments décoratifs en structures fluides et souples, comme jamais figées, restant en transition comme avec l’envie de les sortir de leur habitat viril. Ces prélèvements scintillants peuvent sembler comme des peau des cyborgs où l’architecture devient organique à travers un métal qui semble doux et liquide. Le métal des sculptures se présente à nous aussi glossy que la peau d’un cyborg ou le métal fluide et caressant d’une robe Paco Rabanne.


Dans ses peintures sur métal Marie d’Elbée nous projette dans un autre univers, ses motifs répétitifs chevelus nous perdent, sommes nous dans un fond sous-marin habité d’anémones de mer poilues ? Non. Sun-Dog; a sun that becomes a dog and a dog that becomes a sun est une vision microscopique comme projeté dans un espace infini. Plutôt qu’être animal de compagnie le chien devient monde, celui dans lequel on se perds et où l’échelles des éléments se confonds. Cette notion d’hybridation du vivant se déploie aussi avec Lydia Delikoura et Solanne Bernard . Dans ses céramiques aux surfaces iridophores, Solanne Bernard brouille le statut entre humain, végétal et animal. La conscience est égarée face aux formes qui pourraient aussi bien être des Aloé Vera ou des tentacules de poulpes, ces formes alien nous amènent à nous rendre compte combien c’est d’abords la nature qui créa son propre répertoire de motifs pouvant circuler d’une forme vivante à l’autre. Cette idée se prolonge dans les sculptures faites de marbre de Tinos de Lydia Delikoura où le motif de la nature est présent à travers l’utilisation de la géométrie sacrée. Les mouvements en marbre viennent comme des citations de différents motifs et formes géométriques qui se répètent dans la nature. Représentant la circulation d’ énergies, elles encadrant des végétaux pétrifiés dans une jelly rose, l’artiste contourne l’archétype girly de cette couleur pour la plonger dans un mysticisme historique, qu’elle présente elle même en disant: Pink in this context is used beyond its obvious associations with femininity; a force
which binds the sacred with the mundane, the domestic with the industrial. The cultural and spiritual dimensions of pink are challenged; a religio-aesthetic environment which simultaneously gravitates towards the material and earthly. The muted pink Byzantine tiles are a platform for a new dialogue to emerge; they contain multiple layers of time; the iconography pigments in which they bathe radiate a tenderness,a captivating and unthreatening colour which radiates sympathy.


À travers la polychromie et la polymorphie de leurs oeuvres c’est finalement d’une certaine iridescence émotionnelle dont nous parlent Bregje Sliepenbeek, Lydia Delikoura , Charlotte Nieuwenhuys, Solanne Bernard et Marie d’Elbée. Elles invoquent une émotion qui demande de l’attention, qui se glisse entre les formes et par l’hybridation en font apparaître de nouvelles. Loin du fantastique, en prenant conscience de la pluralité des mondes qui nous entourent, elle refusent la normativité qui permettrait d’être visible et reconnaissable au premier regard.

⁂https://editions.flammarion.com/les-ruses-de-lintelligence/9782081421707

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